24HEURES / ASILE AMNESTY / (22/09/2004)
Quatre experts pour la relecture des dossiers de requérants

Une déléguée d'Amnesty International, un docteur en droit et deux représentants de l'Etat formeront le groupe de travail chargé d'examiner les dossiers des déboutés. Démarrage demain.

LES FAITS
Le groupe de travail mixte pour la relecture des dossiers de requérants menacés de renvoi est sur pied. Il sera composé de quatre personnes dont une juriste d'Amnesty International. C'est une première pour l'ONG. L'accord a été signé hier. Le groupe de travail, dont le principe a été décidé jeudi dernier (24heures du 17septembre), va commencer à travailler demain. Pour Daniel Bolomey, secrétaire général d'Amnesty International (AI), c'est une procédure totalement nouvelle: "Ce week-end, nous avons obtenu l'accord de notre comité international."

Les quatre membres du groupe seront Denise Graf, coordinatrice d'AI pour les réfugiés, Minh Son Nguyen, avocat et chargé de cours à l'UNIL spécialisé dans le droit d'asile et des étrangers, ainsi que de deux représentants du canton. La durée de la démarche devrait prendre quelques semaines, au moins quatre selon Daniel Bolomey. Dans un communiqué, l'Etat précise que la vérification doit être terminée au 31octobre. Le groupe se réunira quatre demi-journées par semaine et examinera un nombre encore non défini de dossiers. Cela dit, les personnes concernées ne sont plus 523comme l'a indiqué l'Etat de Vaud vendredi dernier (24heures du 18septembre).

Le droit, rien que le droit
Si l'on soustrait à ce chiffre devenu emblématique les 170personnes qui se sont inscrites à l'aide au retour ou qui restent susceptibles de s'y inscrire, les 227dont le renvoi est provisoirement suspendu et les 14qui se sont régularisées notamment par mariage, il ne reste plus qu'une bonne centaine de personnes. Mais ce chiffre peut enfler en fonction de l'évolution des dossiers. On pense à ceux parmi les 227recourants qui recevront une dernière décision négative ou à ceux qui ne prendront pas l'aide au retour.

Le groupe fondera toute son approche sur le droit, comme l'indique Denise Graf: "Nous travaillerons selon notre conviction et selon les principes du droit." Son futur collègue Minh Son Nguyen appuie: "Notre travail consistera notamment à confronter les cas à la jurisprudence." Les éléments qui intéresseront le groupe sont les éventuelles pièces manquantes (les avocats des requérants ont jusqu'à lundi pour les présenter), les éléments nouveaux déterminants dans le parcours des requérants et la "proportionnalité" de la décision négative de l'Office fédéral des réfugiés (ODR).

Pas de garantie
Ce dernier point est le plus délicat. AI reconnaît que le Conseil d'Etat s'est engagé à ne pas remettre en cause les décisions de l'ODR. "Mais lorsque nous pourrons démontrer qu'en terme de comparaison avec les cas d'autres cantons la décision est infondée, nous le ferons savoir au Conseil d'Etat, indique Daniel Bolomey. Cela dit, nous ne garantissons pas de pouvoir dénouer beaucoup de situations."

Le gouvernement ne sera pas contraint de représenter à l'ODR les dossiers désignés par le groupe. Mais, selon Amnesty, il suivra les recommandations des experts, car celui-ci examinera aussi "la capacité de l'ODR à revoir tel ou tel dossier". Denise Graf précise encore qu'une rencontre entre le groupe et l'ODR est prévue: "Nous voulons que notre démarche soit reconnue par Berne."

Dans son communiqué, l'Etat ne parle que des "erreurs déterminantes" ou des "pièces manquantes" qui pourraient justifier le renvoi d'un dossier à Berne. Enfin, il précise que les renvois ne sont pas arrêtés, malgré la démarche du groupe: "Seuls les dossiers en attente d'être vérifiés et ceux qui seront à nouveau présentés à Berne donneront lieu à une suspension du renvoi."

LISE BOURGEOIS


Solutions syndicales pour la famille Jakupi?

SYMBOLES: Les déboutés morgiens ont reçu hier un nouveau plan de vol. La FTMH vient à leur rescousse. Un nouveau plan de vol entre les mains, Bajram Jakupi arbore son désormais traditionnel sourire désabusé. "Apparemment, ils veulent à tout prix que je parte. Ils ne doivent vraiment pas m'aimer." Sommaire et formel, le document du Service cantonal de la population invite le débouté morgien et sa famille à prendre place à bord d'un vol Zurich-Pristina, via Budapest, départ mardi 28septembre à 10h10. En lettres grasses, on les prie de bien vouloir se présenter à Kloten au moins deux heures à l'avance, avec un maximum de 100kg de bagages. Oublié, donc, le sursis du mois d'août.

Eric Voruz, ardent défenseur des Jakupi, ne baisse pas les bras. "Pour ce qui est de l'infraction qu'il aurait commise, je peux prouver que M.Jakupi a été victime d'une machination, confie le syndic de Morges et secrétaire syndical FTMH. Je compte présenter ces nouvelles informations à Amnesty International, afin que le dossier soit réétudié."

Mais l'élu socialiste a plus d'une corde à son arc, et vient d'envoyer au Département des institutions et des relations extérieures (DIRE) une audacieuse missive. Conformément à la convention collective de travail, la lettre réclame qu'une indemnisation soit versée à Bajram Jakupi, pour cause d'interruption soudaine de son activité. "L'expulsion provoque une rupture abrupte du contrat de travail, et une mise au chômage forcée, explique l'élu socialiste. Au Kosovo, M.Jakupi se retrouvera presque à coup sûr sans emploi. Le DIRE doit lui verser l'équivalent de deux mois de salaire pour le respect du délai de congé, ainsi que 400indemnités journalières." Résultat des courses: la FTMH demande au DIRE la somme de 95285francs.

Pour Eric Voruz; il s'agit avant tout "d'un moyen de pression supplémentaire". D'ailleurs, l'argent ne motive que moyennement le principal intéressé. "Je ne voudrais pas rentrer pour tout l'or du monde, déclare Bajram Jakupi. C'est ici que je fais ma vie."

Gregory Wicky


Une opération à risques pour Amnesty


Editorial de Lise Bourgeois
Amnesty International (AI) a annoncé hier qu'elle s'impliquerait dans la relecture des dossiers de requérants déboutés. L'affaire n'allait pas de soi. L'antenne suisse a dû en référer à son comité international. La question qui préoccupait ces défenseurs des droits de la personne est celle du rôle d'une ONG dans son propre pays.

La semaine dernière déjà, l'organisation avait dit ses craintes de se voir attribuer à tort une responsabilité dans les prochains renvois. Les réactions du milieu des défenseurs de l'asile ne se sont d'ailleurs pas fait attendre. Eux ne participeront pas à un groupe de travail considéré comme un alibi, cautionné de surcroît par une ONG.

Manifestement, Amnesty n'a pas froid aux yeux. Elle s'engage dans une tractation périlleuse mettant aux prises une autorité cantonale soucieuse de ne pas perdre la face, une administration fédérale qui a déjà dit son dernier mot et, au bout de la chaîne, des requérants qui ne pourront s'empêcher d'espérer. Or, les rescapés ne seront pas nombreux.

Il faut savoir aussi que l'Etat et Amnesty ne sont pas exactement sur la même longueur d'onde, malgré la signature, hier, d'un protocole d'accord gardé secret pour l'heure. L'Etat insiste sur le fait que seuls des graves erreurs ou des éléments nouveaux importants seront pris en compte. L'ONG, elle, entend dénicher en plus les éventuelles injustices dans l'interprétation des critères de la circulaire Metzler; cela en travaillant par comparaison et avec la jurisprudence.

Tout en martelant qu'elle ne décidera pas elle-même du sort des requérants, l'ONG ne peut pas ignorer que chaque dossier qu'elle ne désignera pas aux autorités sera, de fait, un dossier rejeté. Pour sauver quelques personnes, AI prend donc le risque de voir son action mal interprétée. L'ONG a pourtant passé outre. Chapeau!

Lise Bourgeois