24HEURES / REQUÉRANTS DÉBOUTÉS / INTERVIEW / (14/09/2004)
Jean-Claude Mermoud remet l'asile au milieu du village
Après le sondage paru dans 24 heures, le conseiller d'Etat réaffirme sa position, critique les milieux de l'asile et déplore le «matraquage» fait autour des renvois.
LES FAITS
Depuis la démission de Pierre Chiffelle, c'est Jean-Claude Mermoud qui a repris les 523 dossiers renvoyés par Berne avec une réponse négative. Dans les jours à venir, les personnes concernées vont commencer à recevoir leur plan de vol, tandis que l'idée d'un nouveau moratoire s'évanouit dans le paysage bouleversé de l'asile vaudois. Le conseiller d'Etat a indiqué qu'un voyage en Bosnie-Herzégovine lui permettrait de constater si les programmes d'aide au retour sont adaptés. Tout en réaffirmant fermement sa position, il déplore un «état d'information orienté» en faveur des déboutés par les associations de soutien aux requérants et par les médias.
- Comment lisez-vous le sondage publié dans 24 heures du samedi 11 septembre?
- Le message est clair. On veut dans ce canton une immigration réglée, du travail fait plus rapidement et des dossiers qui ne s'enlisent pas. Contrairement à ce que certains pensent à gauche, le peuple vaudois n'est pas très enthousiaste à l'idée d'avoir toujours plus d'étrangers dans le canton. Donc le peuple nous dit qu'il faut aller beaucoup plus vite dans le traitement des demandes, mais refuse dans le même temps les mesures de contrainte.
» J'aimerais aussi ajouter que ce sondage sort après quinze jours de matraquages. Car la campagne n'a pas été menée de manière tout à fait objective. L'ensemble des journaux s'est beaucoup étendu sur la difficulté des cas et sur l'aspect émotionnel. En quelque sorte, les Vaudois ont répondu aux questions avec les moyens qu'ils avaient à disposition.
- Comment appréciez-vous le rôle des associations de soutien?
- Cela me désole lorsqu'elles se mettent à décourager activement les gens de s'inscrire à l'aide au retour. Concrètement? Les militants attendent les requérants devant les locaux du SPOP, ils leur font signer une déclaration et deviennent leurs représentants. Ils assistent alors à l'entretien. Une fois dans les bureaux, ils déclarent aux personnes déboutées: «Ne signez pas cela, réfléchissez!» Ils découragent aussi les gens qui demandent des renseignements. C'est inadmissible. Et dramatique, car si je pouvais prendre ces personnes les unes après les autres dans mon bureau, il est probable qu'elles arriveraient à comprendre ce que nous voulons leur dire: «Nous sommes au bout du chemin, Mesdames et Messieurs, nous avons gagné pour 700 personnes qui avaient probablement fait des efforts d'intégration plus importants que les vôtres. Et vous, vous n'avez que la confirmation de ce que vous saviez déjà depuis longtemps.»
- Sur place, tout est prêt pour le retour?
- Pour ce qui est de l'aspect humanitaire, tout est parfaitement réglé puisque plus de 11 000 personnes sont déjà rentrées en Bosnie-Herzégovine et à Srebrenica. C'est réglé depuis 1996. Il y a des gens hautement plus qualifiés que moi qui ont décrété que ce retour était possible.
- Irez-vous voir sur place?
- Tout à fait. Je veux savoir ce qui se passe. J'aimerais voir comment ces programmes sont adaptés au retour d'une famille. L'idéal serait de voir une famille qui rentre, notamment les cas dits vulnérables, dans ces régions délicates de Bosnie-Herzégovine, afin de voir si ces programmes sont adaptés. Si j'y vais, c'est uniquement pour voir s'il faut les réadapter, ou les repositionner. Mais sûrement pas pour remettre en question le retour de ces personnes. L'aide doit se faire avant tout avec les populations locales. Parce que le risque important que l'on court, c'est de donner à penser que les personnes qui sont restées sur place sont les idiotes dans cette histoire. Nous devons aider ces gens à reconstruire des équipements publics, des écoles, peut-être des petits commerces. Et pourquoi pas des laiteries, comme le proposait Josef Zisyadis. Et les aider concrètement à recréer une vie collective, une vie de travail.
- Cela coûterait plus cher de les garder?
- Bien sûr. Les chiffres sont officiels. Depuis trois ans, les surcoûts des cas vaudois coûtent 5 millions par année. Mais face à 6 milliards de budget, je ne fais pas un fromage de ces 15 millions. Et pour l'aide au retour, je demande 2 millions. Il n'y a pas de déséquilibre.
- Et si on ne renvoie pas?
- Ce serait le début de la fin. Il y aurait un effet d'entraînement qui ferait monter le nombre de personnes illégales dans notre canton. Et quand il faudra accueillir de vrais réfugiés, la population ne l'acceptera plus. Ce serait dramatique. Le réfugié le plus faible perdrait, c'est-à-dire celui qui a besoin de cette protection momentanée. Car les plus forts s'en sortent toujours. Les plus faibles ont besoin des lois et des règles. Et l'on sait qu'il y a des tensions dans notre population. Si vous n'agissez pas avec les deux outils démocratiques que sont la loi sur l'asile et la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers, ça va être l'explosion des réactions populistes et des mouvements d'extrême droite. L'intégration dépend de la dose et de la capacité de ces gens à s'intégrer. Les Italiens ne sont venus que pour travailler. Mais dans les cas dont nous parlons, c'est très différent. Soit ces gens étaient interdits de travail, soit ils n'ont pas voulu travailler. En tout cas, ce n'était pas le meilleur moyen pour s'intégrer à notre société.
- Vous avez l'impression que la population comprend les enjeux?
- Non. Elle ne comprend pas pourquoi on met en œuvre aujourd'hui une décision qui aurait dû être exécutée il y a cinq ans. La population ne comprend pas qu'on ne renvoie pas les délinquants parce que, lorsque les papiers ne sont pas en règle, les conventions internationales empêchent de les renvoyer. A 80%, les articles de presse étaient contre les renvois. Du fait de cet état d'information orienté, la population n'arrive pas à discerner nos arguments.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS OTHENIN-GIRARD
«Si je disais tout... mais je ne fonctionne pas comme cela»
- Entre les cas manifestement positifs ou manifestement négatifs présentés à Berne, c'est Pierre Chiffelle qui a tranché. Si vous aviez dû le faire, en auriez-vous présenté un nombre plus restreint?
- Oui. C'est clair, il n'y a pas d'hésitation. Pour éviter ce faux espoir. Je n'aime pas ces situations où on a laissé croire à des gens qu'ils pourraient rester. Et puis, on peut dire que les décisions prises à l'époque de ne pas les renvoyer sont lourdes de conséquences aujourd'hui. Enfin... on assume et puis on est quand même le canton qui a déposé le 85% des demandes. Mais je ne peux pas m'empêcher de dire qu'il y a juste un problème. Quand même quelque part, on n'a pas travaillé comme ailleurs, avec pourtant les mêmes profils de personnes. Si Appenzell avait très peu de cas de femmes kosovares isolées de Srebrenica, il est clair en revanche qu'il y en avait à Saint-Gall, Berne, Zurich et qu'elles ont déjà été renvoyées.
- Quel jugement portez-vous sur la période de Claude Ruey?
- Je ne veux pas faire le procès de Claude Ruey. Mais dans notre métier, nous sommes quand même censés être les bergers devant le troupeau. Je regrette de devoir le dire aujourd'hui, mais il était très loin derrière le troupeau. Et c'est ce qui ne va pas. Aujourd'hui, le peuple ne sait pas pourquoi le Conseil d'Etat, à l'époque, n'a pas travaillé. Qu'est-ce que vous voulez que je lui dise? Si je disais tout... mais je ne fonctionne pas comme cela. Et vous le savez. C'est clair qu'à l'époque, ce n'était pas ma politique, mais la politique du Conseil d'Etat. Maintenant, il faut assumer cela.
F. O.-G. |