«En Suisse, ce 10 décembre restera comme une tache noire dans la
mémoire des droits humains»
Chaque 10 décembre, la Journée internationale des droits humains est là
pour nous rappeler l'existence de la Déclaration universelle des droits
de l'homme, adoptée en 1948 et trop souvent bafouée à travers le monde.
En Suisse, ce 10 décembre restera comme une tache noire dans la mémoire
des droits humains. Durant ce mois de festivités, des centaines de
personnes qui vivent dans notre pays depuis plusieurs années sont mises
à la rue. Depuis plus de vingt-cinq ans, au gré de nombreuses révisions
imposées par les milieux conservateurs et xénophobes, la loi fédérale
sur l'asile s'est muée en une loi qui porte atteinte au noyau même de
la dignité humaine.
2005 sera une année décisive: de nouveaux changements sont à l'étude
qui vont quasiment interdire l'accès à une procédure d'asile à au moins
40% des requérants d'asile qui se présentent à nos frontières. La loi
sur l'asile sera alors vidée de son sens, en contradiction avec les
conventions internationales sur les droits des réfugiés.
En supprimant le droit à l'assistance publique aux personnes frappées
d'une décision de non-entrée en matière (NEM), la loi ouvre la porte à
la discrimination et à l'inégalité de traitement. Amnesty International
est indignée par le sort réservé aux personnes frappées de cette
mesure: livrées à elles-mêmes et rejetées dans l'illégalité, réduites à
la mendicité, au travail au noir ou à la délinquance pour pouvoir
survivre. Bien qu'une procédure soit pendante devant le Tribunal
fédéral pour juger de la légalité de cette mesure, le Conseil fédéral
propose maintenant d'étendre cette mesure à toutes les personnes
frappées d'une décision négative.
Pourtant, l'aide d'urgence, l'accès à un hébergement décent, à la
nourriture et à une aide médicale d'urgence font partie des droits
fondamentaux garantis par la Constitution fédérale et la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948. Cette Déclaration est
applicable à tous les êtres humains, y compris aux requérants d'asile
déboutés. L'aide d'urgence ne saurait être soumise à une quelconque
contre-prestation, ni être limitée dans le temps. Amnesty International
condamne avec vigueur toute mesure prise par les cantons qui
contreviendrait à ces deux principes.
Récemment, un tribunal bernois a rappelé que le fait de «ne pas
coopérer avec les autorités» pour se procurer des documents de voyage
ne peut être un motif pour refuser l'aide d'urgence ou pour la limiter
dans le temps. De plus, comment peut-on parler de «non-coopération avec
les autorités» dans le cas d'un jeune homme apatride originaire du
Bhoutan, arrivé dans le canton de Vaud il y a plus de neuf ans, auquel
les autorités bhoutanaises refusent de reconnaître sa nationalité?
Les réfugiés sont par définition des personnes persécutées par les
autorités de leur pays d'origine. Nombreux sont les requérants qui
viennent de pays en pleine guerre civile. Obtenir un passeport auprès
d'une administration qui ne fonctionne pas est pratiquement mission
impossible. Il est donc contraire aux normes internationales d'en avoir
fait un motif de non-entrée en matière. La réduction de trente à cinq
jours du délai de recours contre ces décisions et l'extension à deux
ans de la détention en vue du renvoi sont autant de mesures qui violent
le principe de la proportionnalité et constituent une limitation
injustifiable du droit d'asile.
Quant à l'utilisation de pistolets paralysants et la pose d'entraves
lors de l'expulsion d'étrangers, prévues dans le cadre du projet de loi
sur l'usage de la contrainte policière, en consultation jusqu'à fin
février, ce sont elles aussi des méthodes disproportionnées et abusives.
Les modifications de la loi sur l'asile sont autant de façons de
présenter les réfugiés et les requérants d'asile comme des abuseurs
potentiels et de les transformer dans l'imaginaire collectif en
criminels qu'on doit priver de leur dignité humaine et renvoyer par la
force. Ce n'est pas ainsi que la Suisse réussira à appliquer une
politique d'asile humaine et équitable.
Manon Schick, porte-parole de la section suisse d'Amnesty International