«S'il y a parfois et même souvent incompréhension populaire, c'est bien parce que, depuis près de quinze ans un parti politique, son leader en tête, a systématiquement désinformé, voire manipulé la population et fait du rejet de l'étranger son fonds de commerce. Car les fausses informations n'ont pas manqué»
L'asile rend-il fou? Voilà que le Conseil des Etats, dépassant les propositions déjà extrêmes du Gouvernement, adopte, la tête dans le sac, des propositions extrémistes et anticonstitutionnelles que ce même Conseil fédéral avait raisonnablement refusées. Et voilà que des éditorialistes s'engouffrent dans la dérive émotionnelle anti-étrangers, l'un qualifiant de «pleureuses professionnelles» les défenseurs des droits de l'homme, l'autre décrivant comme criard, hystérique ou révulsé, quiconque ne partage pas la ligne du chef Blocher sur l'asile. Et de dresser la liste des ennemis du peuple, soit «tout ce que la Suisse compte de juges, de pasteurs, de curés, de journalistes, d'éditorialistes, d'assistants sociaux et de sensibilité de gauche?» Pas un argument sur les faits non, juste le rejet de ceux qui ne pensent pas correct! Ce type de procédé ne vous rappelle-t-il rien? Le rejet, le mépris et l'invective à la place d'arguments, n'est-ce pas précisément une de ces dérives dont les leçons de l'histoire devraient nous garder?
Un peu de sérénité s'il vous plaît. Et surtout une analyse basée sur des faits plutôt que sur le rejet de l'autre. Car quels sont les faits? Loin de ce qui est affirmé à l'emporte-pièce, la politique d'asile conduite en Suisse n'a été ni laxiste, ni aveugle. Elle s'est efforcée et s'efforce tout simplement de rester digne de ce qui fait encore (?) les valeurs de ce pays, soit le respect de la personne humaine, l'ouverture, la tolérance et l'aide aux persécutés. Mais cette politique n'est évidemment pas parfaite; les vrais problèmes sont d'une part la durée beaucoup trop longue des procédures fédérales (et pas cantonales, rappelons-le), et d'autre part les lenteurs ainsi que la relative clémence de l'exercice de la justice pour les cas d'infractions pénales (que ces dernières soient le fait aussi bien de Suisses que d'étrangers d'ailleurs). Pour le reste, s'il y a parfois et même souvent incompréhension populaire, c'est bien parce que, depuis près de quinze ans un parti politique, son leader en tête, a systématiquement désinformé, voire manipulé la population et fait du rejet de l'étranger son fonds de commerce. Car les fausses informations n'ont pas manqué.
Ainsi, loin d'être systématiquement des délinquants, la très grande majorité des requérants d'asile se conduisent correctement chez nous. Mais il est vrai qu'il y a une minorité de 7 ou 8% qui ne respecte pas nos règles et qu'il faut combattre impitoyablement.
Contrairement à ce qu'affirme mensongèrement la propagande, les demandeurs d'asile ne sont pas principalement des demandeurs économiques, mais des gens fuyant des dangers réels. Si l'on regarde la statistique, les pays de provenance principaux sont des pays en troubles.
Et nous ne sommes pas envahis. Nous ne sommes en particulier pas le pays champion du monde de l'accueil des requérants d'asile et de la facilité d'asile. L'Autriche, la Norvège, la Suède, trois pays neutres (ou quasi-neutres) nous dépassent très largement quant au nombre de requérants par habitants.
Enfin, les personnes ayant mérité notre protection ne sont pas une infime minorité. Au cours des dix dernières années, ce sont 40% des requérants d'asile qui ont été reconnus comme réfugiés ou qui ont été admis provisoirement (réfugiés: 9%; admis provisoirement: 31%).
Ce sont ces faits et seuls ces faits, vérifiables et officiels, qui doivent guider notre réflexion pour prendre des mesures utiles, pas l'émotion, ni la passion. On ne voit dès lors pas ce qui justifierait qu'on en vienne, pour ne citer que cet exemple, à supprimer toute aide d'urgence en mettant à la rue, sans gîte, ni couvert, des êtres humains démunis que la Suisse ne renvoie d'ailleurs pas. C'est non seulement parfaitement indigne et inhumain, mais aussi inefficace et même dangereux pour notre sécurité. Même si c'est sans doute porteur électoralement?
Eh bien, non! de grâce, ne cédons pas à la folie ambiante, ne pactisons pas avec la xénophobie. Pour l'honneur de nous et du pays, sachons résister à la passion et conserver la sérénité.
CLAUDE RUEY Conseiller national, ancien Conseiller d'Etat