«L'étage des réalités qui le dominent est si pauvrement médité par ses soins que ces réalités-là se sont muées, dans sa perception comme dans sa pratique, en données indiscutables»
Le Vaudois Jean-Claude Mermoud est né le 8 août 1952. Il est membre de l'Union démocratique du Centre (UDC) depuis 1984. Il est conseiller d'Etat dans ce canton depuis le 15 mars 1998. Après avoir assumé la direction par intérim du Département des institutions et des relations extérieures (DIRE), qui traite notamment des questions posées par les réfugiés et les demandeurs d'asile, il en sera le chef officiel dans quelques jours.
Jean-Claude Mermoud dispose depuis 1972 d'un certificat fédéral de capacité dispensé par l'Ecole d'agriculture de Marcelin, au-dessus de Morges. Il a réussi la Maîtrise fédérale agricole en 1987. De 1982 à 1998, il fut l'exploitant d'un domaine de 24 hectares constitué de grandes cultures. Il fut simultanément syndic d'Eclagnens, son village, qui compte 71 habitants. Dans le cadre de son activité comme agriculteur, Jean-Claude Mermoud s'est occupé de 2'300 pondeuses. Et dans le cadre du Département des institutions et des relations extérieures, il s'occupe ces temps-ci de 523 requérants d'asile déboutés par Berne. 523 requérants font beaucoup moins que 2'300 pondeuses, mais posent des problèmes un peu plus complexes: il faudrait exister soi-même à leur égard.
Quand vous êtes citoyen en général, et surtout quand vous êtes politicien, vous êtes placé dans un schéma presque simple. Vous êtes pris entre deux étages de réalités: l'étage des réalités qui vous dominent, et l'étage des réalités que vous êtes en mesure de modifier. Tout le jeu de l'existence consiste à n'être pas trop neutre entre les deux. A faire en sorte que les réalités qui vous dominent ne s'appliquent pas sans résistance de votre part, ou sans pensée minimalement autonome, à celles que vous pourriez modifier. Jean-Claude Mermoud semble incapable de cette posture. L'étage des réalités qui le dominent est si pauvrement médité par ses soins que ces réalités-là se sont muées, dans sa perception comme dans sa pratique, en données indiscutables. Qu'elles sont devenues des fatalités pures et simples. Autrement dit des clichés.
Pauvre homme sans teneur critique intime, donc, que dominent instinctivement les clichés de la suissitude traditionnelle. Que dominent les clichés de la loi et de l'ordre. Que dominent les clichés de la guerre et de la non-guerre affectant l'histoire de certaines nations comme l'ancienne Yougoslavie, d'où proviennent en majorité les requérants d'asile déboutés. Que dominent les clichés de la légitimité morale qui résulterait de la légitimité administrative représentée par l'Office fédéral des réfugiés, maître faîtier des dossiers. Que dominent les clichés de sa propre loyauté vis-à-vis de son parti l'UDC et de son inspirateur Christoph Blocher, par ailleurs son conseiller fédéral de tutelle. Et que dominent les clichés de sa propre autorité dans l'espace indigène.
Etre à ce point vassal impose de se rattraper. Quand vous êtes le serviteur des clichés qui vous dominent, quand vous ne les mettez pas en examen, quand vous vous alignez sur eux comme s'ils constituaient des références indépassables au sein d'un système souverain, vous vous défoulez comme vous pouvez, c'est-à-dire en direction du bas, à l'étage des réalités que vous seriez en mesure de modifier. Vous succombez au syndrome du sous-chef, qui tourmente ses troupes d'autant plus teigneusement qu'il ne sera jamais le chef. Vous aliénez votre part d'humanité, d'intelligence et de doute, pour fortifier d'autant plus votre part de vengeur médiocre.
Jean-Claude Mermoud en est à ce point. Il se venge vers le bas à force de ne pas chercher à percevoir les dynamiques de l'humain dans cette affaire. Il se venge vers le bas à force de ne pas de se poser de questions aigues sur la Suisse qui l'entoure. Il se venge vers le bas à force de se refuser au doute sur soi face au monde extérieur. Il se venge vers le bas à force de ne pas s'interroger, et se venge vers le bas à force d'être sourd à sa propre opinion publique. Les clichés dominants sont trop forts, décidément. C'est ainsi non seulement chez Jean-Claude Mermoud, d'ailleurs, mais aussi plus largement dans notre époque. Voilà pourquoi le schéma du vassal triomphe à ce point autour de nous. Qui donc, de nos jours, dans un moment de crasse intellectuelle, ne rêve pas de se venger vers le bas de ce qui l'asservit depuis en haut? Ah, la vie serait plus simple si nous avions alors tous la chance, comme notre ami le conseiller d'Etat, de pouvoir bientôt retourner à nos pondeuses.
Christophe Gallaz, écrivain et journaliste