Il est temps de s'unir contre le racisme d'Etat
Prise de position parue dans le Courrier du 02-12-05

Un nouveau pas a été franchi hier dans la déshumanisation de la Suisse. Même s'il était attendu, le vote du Conseil des Etats ne peut que venir glacer une nouvelle fois les défenseurs du droit d'asile et des étrangers. Malgré des appels à la raison qui se multiplient depuis des mois, les sénateurs ont refusé tout début d'ouverture à celles et ceux que les routes de l'exil ont conduit jusqu'à nous. Les sans-papiers continueront ainsi à devoir se contenter de la clandestinité comme seule planche de salut. Quant aux immigrants légaux, ils n'ont qu'à bien se tenir: l'octroi automatique d'un permis d'établissement après dix ans de séjour a été supprimé dans la Loi sur les étrangers.

S'agissant de celle sur l'asile aussi, les sénateurs l'ont détruite jusqu'au bout. On pouvait au moins s'attendre, après le ralliement du National à la quasi-totalité des durcissements apportés en mars dernier par les Etats, à ce que ceux-ci reculent sur la mesure la plus décriée: la suppression de toute aide d'urgence aux requérants déboutés, invalidée par le Tribunal fédéral. Les sénateurs, qui n'avaient d'autre choix que de rétablir ce minimum vital, y ont mis une condition vexatoire: ceux qui rechignent à quitter la Suisse devront faire état d'une situation de détresse pour obtenir ce soutien...

Le prochain acte est déjà écrit: les divergences subsistant entre les deux Chambres sont suffisamment mineures pour que les deux lois soient adoptées en vote final, comme prévu, le 16 décembre. Il ne restera alors qu'une arme pour combattre la descente aux enfers programmée par nos élus: le référendum.

Mais c'est là que les choses se compliquent. Alors que deux comités référendaires unitaires viennent de se former, à Genève et dans le canton de Vaud, contre les deux lois, tout indique, au plan national, qu'on s'apprête à partir en ordre dispersé. Le Parti socialiste suisse vient ainsi de décider de ne s'impliquer que dans la bataille contre la Loi sur l'asile, jugeant ne pas avoir assez de forces pour attaquer parallèlement celle sur les étrangers. Des syndicats, au contraire, envisagent de combattre cette dernière, mais pas celle sur l'asile...

Dans une campagne référendaire qui s'annonce très difficile, ces petits calculs d'appareils sont suicidaires. Et absurdes. Car les deux lois participent de la même logique: le déni de toute réalité humaine de la part de nos autorités. Les quelque 200 000 sans-papiers vivant en Suisse ont été produits autant par un droit des étrangers fermant toute les vannes que par une Loi sur l'asile fabriquant par milliers des déboutés poussés à la clandestinité. Quant aux droits humains, même s'ils sont niés d'une manière particulièrement flagrante dans la Loi sur l'asile, il ne faut pas oublier qu'ils le sont tout autant par celle sur les étrangers, qui donnera pour la première fois rang légal aux pratiques discriminatoires d'une Suisse fermant ses portes aux non-Européens.

Face au racisme d'Etat en voie de s'institutionnaliser sous prétexte de combattre la xénophobie qu'il alimente, il est encore temps de serrer les rangs. C'est le dernier espoir.

DIDIER ESTOPPEY, journaliste du Courrier