Un nouveau pas a été franchi hier dans la déshumanisation de la Suisse.
Même s'il était attendu, le vote du Conseil des Etats ne peut que venir
glacer une nouvelle fois les défenseurs du droit d'asile et des
étrangers. Malgré des appels à la raison qui se multiplient depuis des
mois, les sénateurs ont refusé tout début d'ouverture à celles et ceux
que les routes de l'exil ont conduit jusqu'à nous. Les sans-papiers
continueront ainsi à devoir se contenter de la clandestinité comme seule
planche de salut. Quant aux immigrants légaux, ils n'ont qu'à bien se
tenir: l'octroi automatique d'un permis d'établissement après dix ans de
séjour a été supprimé dans la Loi sur les étrangers.
S'agissant de celle sur l'asile aussi, les sénateurs l'ont détruite
jusqu'au bout. On pouvait au moins s'attendre, après le ralliement du
National à la quasi-totalité des durcissements apportés en mars dernier
par les Etats, à ce que ceux-ci reculent sur la mesure la plus décriée:
la suppression de toute aide d'urgence aux requérants déboutés,
invalidée par le Tribunal fédéral. Les sénateurs, qui n'avaient d'autre
choix que de rétablir ce minimum vital, y ont mis une condition
vexatoire: ceux qui rechignent à quitter la Suisse devront faire état
d'une situation de détresse pour obtenir ce soutien...
Le prochain acte est déjà écrit: les divergences subsistant entre les
deux Chambres sont suffisamment mineures pour que les deux lois soient
adoptées en vote final, comme prévu, le 16 décembre. Il ne restera alors
qu'une arme pour combattre la descente aux enfers programmée par nos
élus: le référendum.
Mais c'est là que les choses se compliquent. Alors que deux comités
référendaires unitaires viennent de se former, à Genève et dans le
canton de Vaud, contre les deux lois, tout indique, au plan national,
qu'on s'apprête à partir en ordre dispersé. Le Parti socialiste suisse
vient ainsi de décider de ne s'impliquer que dans la bataille contre la
Loi sur l'asile, jugeant ne pas avoir assez de forces pour attaquer
parallèlement celle sur les étrangers. Des syndicats, au contraire,
envisagent de combattre cette dernière, mais pas celle sur l'asile...
Dans une campagne référendaire qui s'annonce très difficile, ces petits
calculs d'appareils sont suicidaires. Et absurdes. Car les deux lois
participent de la même logique: le déni de toute réalité humaine de la
part de nos autorités. Les quelque 200 000 sans-papiers vivant en Suisse
ont été produits autant par un droit des étrangers fermant toute les
vannes que par une Loi sur l'asile fabriquant par milliers des déboutés
poussés à la clandestinité. Quant aux droits humains, même s'ils sont
niés d'une manière particulièrement flagrante dans la Loi sur l'asile,
il ne faut pas oublier qu'ils le sont tout autant par celle sur les
étrangers, qui donnera pour la première fois rang légal aux pratiques
discriminatoires d'une Suisse fermant ses portes aux non-Européens.
Face au racisme d'Etat en voie de s'institutionnaliser sous prétexte de
combattre la xénophobie qu'il alimente, il est encore temps de serrer
les rangs. C'est le dernier espoir.
DIDIER ESTOPPEY, journaliste du Courrier