«Et au-dessus des lois, il y a les principes fondamentaux de la Suisse, parmi lesquels figurent le respect du droit et l'accueil des opprimés»
Monsieur le Conseiller d'Etat, Les hasards de la vie m'ont fait découvrir le parcours d'une famille d'ex-Yougoslavie qui illustre parfaitement les aberrations de votre politique envers les requérants d'asile.
M. et Mme H. sont originaires d'une parcelle sinistrée de la Serbie, dont les habitants, de langue et de culture albanaises, sont en butte aux tracasseries et aux persécutions d'un gouvernement qui les déteste. Selon mes informations, ils ont dû fuir leur petite patrie lorsque M. H. a failli être emprisonné à la place de son frère. Celui-ci avait été condamné à huit ans de prison pour avoir rejoint l'armée indépendantiste albanaise, mais avait réussi à passer à l'étranger.
Ayant déposé une demande d'asile dans notre canton en mai 2000, M. et Mme H. s'y intègrent rapidement. Lui exerce le dur métier de ferrailleur, c'est-à-dire qu'il met en place les parties métalliques du béton armé, à l'entière satisfaction de son employeur, tandis qu'elle s'occupe de leurs trois petits enfants et travaille comme nettoyeuse. En quatre ans, ils ont appris le français et sont devenus financièrement indépendants. Cependant, pour d'obscures raisons, l'Office fédéral des réfugiés (ODR) a refusé de leur accorder l'asile et le canton de Vaud n'a pas jugé bon - ou a oublié - de soumettre à nouveau leur cas à Berne, dans le cadre de la récente procédure de régularisation. C'est ainsi que la famille H. se trouve sous le coup d'un ordre d'expulsion émanant de l'administration vaudoise, ordre que vous menacez de faire exécuter, au besoin par la force, dès le 3 janvier prochain.
Ce cas dramatique - je vous rappelle qu'à son arrivée en Serbie M. H. risque d'être emprisonné pour un crime qu'il n'a pas commis! - met en évidence les dysfonctionnements et l'arbitraire de l'ODR. Ce gâchis a encore été confirmé par sa gestion calamiteuse des demandes qui, cet automne, lui ont été soumises pour la deuxième fois par notre canton: décisions peu ou pas motivées, traitement incohérent de cas semblables et surtout nombreux rejets de dossiers qui avaient pourtant été soigneusement étudiés, puis approuvés par un groupe de quatre experts vaudois, dont deux fournis par Amnesty International et deux par votre propre département - tant de bévues et de suffisance me permettent d'affirmer que les fonctionnaires fédéraux de l'asile et leur patron se moquent des Vaudois!
Au-dessus des décisions opaques d'un bureau de l'administration fédérale, il y a les lois. Et au-dessus des lois, il y a les principes fondamentaux de la Suisse, parmi lesquels figurent le respect du droit et l'accueil des opprimés. Puisque, en l'occurrence, ni les lois ni les principes qui les fondent n'ont été respectés, nous sommes nombreux à penser que le canton de Vaud doit rejeter les diktats des services de M. Blocher.
Vous au contraire, Monsieur le Conseiller, déclarez que vous devez y obéir sans discuter - et peut-être sans réfléchir. En effet, vous semblez oublier que les conventions internationales ratifiées par la Suisse obligent l'autorité cantonale chargée d'exécuter les renvois à vérifier elle-même si, dans les circonstances actuelles, ces mesures de contrainte respectent le principe de non-refoulement. Ce principe interdit tout renvoi de personnes dans un pays où elles risquent de subir des traitements cruels. Vous n'avez matériellement pas eu le temps ni peut-être l'envie de procéder à de telles vérifications? Alors vous n'avez pas le droit d'exécuter les renvois, même si vous vous sentez lié par un «arrangement» avec un conseiller fédéral, car aucun arrangement n'est supérieur à la loi.
Voici peu d'années, j'enseignais encore le civisme dans mon collège lausannois. Je disais à mes élèves, non sans fierté, que nous vivions dans un Etat de droit qui était aussi, en vertu d'une longue tradition, une terre de refuge pour les victimes de l'injustice et de la violence. Evitez à mes successeurs la honte de devoir expliquer à leurs élèves que tout cela appartient au passé!
* N.d.l.r.: nous venons d'apprendre que la famille H. a été mise au bénéfice d'un effet suspensif
PHILIPPE DE VARGAS, ancien directeur de collège