Chaque jour de décembre, respirer un grand coup avant de pousser la
porte du petit appartement. Entrer dans une famille, toucher la main
d'un célibataire. S'asseoir dans le salon exigu et meublé de pas
grand-chose, qui fait souvent office de chambre à coucher. Et boire le
café, le Fanta, jouer avec les petits.
Et surtout, écouter. Tenter de faire mieux connaissance avec ces
requérants d'asile déboutés, résidant dans le canton depuis de
nombreuses années. C'était le but de ce «calendrier de l'Avent» un peu
particulier dont la dernière porte s'ouvre aujourd'hui. Comment vit au
quotidien cette population en sursis, propulsée au coeur d'un débat
politique qui déchire le canton? Difficile de résumer sur un petit
feuillet de calendrier, les conversations, les larmes, les coups de
gueule auxquels nous avons assisté tous ces jours de décembre. Dur aussi
de rester stoïque face au désarroi souvent oppressant?
Les histoires qui se racontent, souvent maladroitement devant nos yeux,
ont un point commun: l'angoisse de voir sa vie une nouvelle fois brisée
par un renvoi. La crainte d'apparaître dans le journal a également été
maintes fois évoquée. «Ça va nous retomber dessus?» demandent certains.
La peur au ventre, deux femmes nous demanderont de masquer leur visage
sur les photos. Ne pas faire de vagues, raser les murs, vivre à demi est
devenu une seconde nature pour ces presque fantômes.
Souvenez-vous, le 1er décembre, Selvira Vejapi, 10 ans, de Vevey.
Touchante par sa (trop grande) maturité, la fillette parlait avec amour
de son père, incarcéré pendant un mois au Centre de Frambois, et disait
sa peur de la police. Derrière «les Kosovars», on voit soudain une
famille unie et aux abois. Le 21 décembre, on découvrait Seble Wolde,
cette Ethiopienne, maman d'une petite fille de quelques mois qui se
débrouille seule à Yverdon: son mari, requérant d'asile lui aussi, est
assigné au canton d'Argovie.
Dans tous les foyers, l'interdiction de travailler décidée ce printemps
par le Conseil d'Etat est une «catastrophe». Si certains patrons
résistent et se refusent à licencier les déboutés, d'autres ont obéi.
L'inactivité est alors mortifère. Pour tous. «On tourne en rond, on
devient fous», entend-on partout. «Le travail, c'est la dignité»,
poursuivent les anciens plâtriers, garçons de buffet, blanchisseuses ou
femmes de chambre. La honte de passer pour des profiteurs, l'humiliation
au moment d'encaisser à nouveau l'argent de la Fareas? Malgré cela et
tout le reste, les déboutés ne semblent pas prêts à lâcher le petit bout
d'existence qu'ils ont construit loin de chez eux.
Martine Clerc, paru dans le 24 Heures du 24 décembre 05